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YAMA et NIYAMA: Quelle est leur signification?
Yama et niyama sont deux des huit membres du yoga. Ils sont souvent mal interprétés en occident.Denis Billo nous donne ici quelques explications, avec le support de La voie du yoga de Jean Papin.
I. YAMA — LES REFRÈNEMENTS
Ces règles contiennent certes un sens moral, mais quelque peu différent de celui qui est familier à l’occident; elles contribuent avant tout à écarter les causes de trouble et d’agitation qui font obstacle au développement spirituel.
Patanjali en dénombre cinq. (y.s.II.3O)1. Ahimsâ — la non-violence
qui exige non seulement l’abstention de causer des nuisances et de la douleur aux êtres vivants ou de participer à leur asservissement et à leur destruction, mais surtout prétend déraciner de l’instinct le désir du meurtre et de la souffrance. Le commentaire de Vyâsa précise que tous les « refrènements » et toutes les « disciplines» contiennent l’idée de non-violence et que leur observance la rend plus authentique. Quand Ahimsâ devient naturelle les sentiments d’hostilité disparaissent: « en présence de celui qui a adopté la non-violence, tous les êtres renoncent à l’inimitié ». (y.s.II.35) Ce pouvoir s’appelle Bhûtasiddhi.
2. Satya — La véracité.
Il ne suffit pas de s’abstenir de dissimulation, de mensonge, de tromperie ou de calomnie, mais de conformer la parole juste à l’acte juste. Est juste, l’acte dépourvu d’égoïsme et qui n’entraîne donc pas d’enchaînement de cause à effet ; qui s’éteint de lui-même et n’a pas de suite douloureuse. La véracité demande une réflexion et une attention soutenues ainsi qu’une absence totale de calcul.
« Celui en qui la véracité s’est établie obtient et maîtrise le fruit de ses oeuvres ». (y.s.IIh36).
Le pouvoir occulte qui en découle est appelé Vâcsiddhi:
Pouvoir de la parole. Tout ce que dit le véritable yogin se réalise ou prend un aspect de vérité.3. Asteya — L’honnêteté, l’abstention de vol
L’honnêteté parfaite consiste à éviter l’appropriation des biens d’autrui et à extirper l’envie de voler. Cela peut dans certaines conditions aller jusqu’au refus des avantages ou des cadeaux offerts. Et paradoxalement quand le lâcher-prise touche à la perfection, « celui qui prend pour règle la totale honnêteté voit les richesses venir à lui ». (y.s.II.37).
4. Brahmacarya — La continence
L’Anugîtâ définit le chaste, Brahmacârin, comme celui qui réside dans l’absolu (Brahman):
« Celui qui, ayant dépassé l’action et les austérités, habite dans le suprême, le Brahman, est appelé Brahmacârin. Comme le Brahman, il voyage (cbri) par le monde. Le Brahman est son combustible. Il est son feu. Le Brahman est son siège et son eau purificatrice. Le Brahman est son maître. Il vit absorbé dans le Brahman ».Tous les yoga insistent sur l’influence bénéfique des forces emmagasinées par la continence. La rétention volontaire du «semen virile » facilite la concentration et conserve l’énergie vitale et nerveuse. Elle ne doit pas aboutir à un refoulement sexuel qui provoquerait le déséquilibre, ni même à la sublimation mystique, mais bel et bien à la destruction de l’idée, de l’émotion et de la sensation charnelles, au même titre que les états mentaux et les résidus subconscients sont « brûlés » par le feu de la réalisation contemplative.
« Celui qui pratique la continence acquiert et contrôle l’énergie vitale ». (y.s.II.38 ).La tâche s’avère plus ardue chez les individus possédant une puissante sexualité, mais l’énergie accumulée par la continence leur apportera alors une intensité d’expérience proportionnelle à l’ardeur de leur tempérament.
Le yogin tantrique de la « voie de la main gauche » (kaula) va encore plus loin dans la difficulté ; jouant avec le feu il se sert du désir sexuel et de l’acte lui-même (maîthuna) comme véhicule pour parvenir à l’unification, en s’interdisant absolument l’éjaculation. En dehors de ces particularismes, une véritable chasteté impose le célibat permanent, sans accouplement.Cependant, pour ceux qui ont choisi de vivre avec un conjoint, ou qui n’observent pas la complète abstinence, l’acte sexuel est admis en dehors des périodes d’intense pratique. Il reste en tous cas, préférable à une abstention contristante et mal vécue.
En commentaire au verset 61 du chapitre I de la Hatha yoga Pradîpikâ, Brahmânanda précise à ce sujet: « . . .en dehors du temps de pratique assidue, il n’est pas interdit de s’unir avec son épouse…»
On doit noter malgré tout que de rares textes négligent totalement la continence, mais cela est assez inhabituel dans le yoga classique. (Cf. Yoga Kundalinî Upanisad, 56.)5. Aparigraha — La pauvreté, la privation de biens
La possession engendre la violence et l’organisation stupide et contraignante de la- défense de la propriété qui va jusqu’à la guerre. On ne peut posséder sans priver les autres et c’est une source d’attachement. L’indépendance est fortement compromise par la possession, mais aussi par les dettes ou les obligations envers ceux qui nous procurent des biens ou nous offrent des cadeaux. C’est pourquoi le yogin évite de recevoir des dons. Si par hasard il accepte, il ne doit rien.
Quand l’esprit de non-possession s’enracine au plus profond de l’être, survient le pouvoir occulte du souvenir de ses naissances : « celui qui respecte une stricte pauvreté se souvient de ses vies antérieures » (y.s.II.39).
Certaines différences apparaissent dans les Upanishads du yoga et les textes plus tardifs. Généralement des règles secondaires s’ajoutent à celles énoncées par les Yoga sûtra, mais les principaux refrènements se retrouvent partout, sauf la pauvreté et très accessoirement la continence.Ce qui importe dans la pratique des Yama n’est pas la privation par elle-même, mais l’esprit de détachement vis à vis des passions et des penchants égoïstes.
Jean papin et la voie du Yoga (aphorismes de Patanjali) Dervy-livres
Le but des Yama n’est pas d’instaurer un code de vie social, ou éthique ou même moral, le but est de permettre à un individu d’atteindre l’éveil.
Si on garde cela en mémoire dans toutes nos lectures, recherches et pratiques les erreurs d’interprétations auront tendance à disparaître et le pratiquant se trouvera libéré, dans sa pratique, d’états d’âme et autres limitations stériles, le Yoga n’est il pas une voie de libération..?
Il faut donc considérer les 8 activités du Yoga dans une même vision qu’un sportif de haut niveau souhaitant atteindre la médaille d’or aux jeux olympiques, pour le Yoga c’est l’éveil.
Bien entendu si un sportif se met à faire des crimes (meurtres, vols …) il ne pourra pas atteindre son objectif car il sera en prison, mais l’observance alimentaire, ses règles de vie, ses entraînements, parfois drastiques, n’ont rien à voir avec une démarche éthique ou morale. Elles sont là pour lui permettre d’atteindre son but, rien d’autre !
Les Yama et Nyama sont là pour apporter, préserver nos énergies et les canaliser.
Nous le voyons dans cette superbe traduction de Jean Papin, à chaque Yama réalisé un pouvoir occulte est obtenu. Ce “pouvoir” n’a aucun effet sur les autres et le monde extérieur et donc n’entre pas dans la classe des pouvoirs comme encore une fois les occidentaux recherchent. Ces pouvoirs sont des aides (des alliés) pour le pratiquant dans sa quête de révéler sa nature et d’atteindre à l’éveil.
C’est l’esprit occidental et sa démarche congénitale de générer des codes moraux qui est à l’origine de telles interprétations bien lourdes de conséquences.
II. NIYAMA — LES DISCIPLINES
Egalement au nombre de cinq chez Patanjali, les Niyama s’appliquent plus spécialement à ceux qui orientent leur vie vers la recherche spirituelle. Ces disciplines contribuent à la conversion, au retournement de nos penchants naturels et engagent vers le détachement. Grâce à elles nous pouvons risquer une première tentative fructueuse pour faire sauter le verrou du Karman qui réduit le « vieil homme-» à l’état d’animal domestique (pashu).
1. Shauca, la purification extérieure et intérieure
La purification commence par le rejet du laisser-aller qui exige une propreté corporelle et vestimentaire scrupuleuse; elle se poursuit par le choix d’un lieu propice, aménagé pour y vivre et y méditer dans les meilleures conditions possibles (cf. Chap. XI attitude mentale et discipline de vie), et selon l’orientation favorable (au nord pour dormir, à l’est ou au nord pour pratiquer l’exercice). Le Hatha yoga insiste beaucoup sur la purification des voies naturelles et des organes et sur la nécessité d’éliminer les déchets et toxines qui s’accumulent dans le corps par les actes de purgation appelés Satkarman (cf. en complément du degré 3 âsana). Le régime alimentaire végétarien, la sélection et la préparation de la nourriture font partie de cet élément des Niyama.
La purification intérieure demande un travail constant de lutte contre les impuretés de l’esprit : colère, sensualité, agitation, envie etc. La satisfaction de soi ne résulte nullement de ces pratiques comme on pourrait l’imaginer. En réalité, « la purification provoque l’aversion de son propre corps et l’absence de contact avec autrui. On y gagne en outre la pureté lumineuse du mental (sattva) la concentration, la conquête des sens et la capacité de réaliser l’âme universelle (âtman) »(y.s.II.40-41).
2. Samtosa, la sérénité, le contentement
La sérénité est un état d’équanimité vis à vis des opposés. L’esprit n’a nul besoin d’être affecté par la joie ou la douleur, le succès ou l’échec, la sympathie ou l’hostilité. Aucune nécessité n’impose jamais de se laisser emporter par la passion, l’exaltation ou le désespoir. « La sérénité procure le bonheur parfait » (y.s.II.42).
3. Tapas, l’ascèse, l’austérité
Ainsi que nous l’avons remarqué au sujet des obstacles les avis concernant l’ascèse sont partagés. Il semble surtout important de préciser ce que l’on entend par austérités. S’il s’agit de mortifications abusives pouvant causer des troubles ou des lésions, il convient d’être très réservé sur ces méthodes parfois absolument contraires à l’esprit du yoga. L’excès de rigueur, autant que la mollesse est très contesté. Même Vyâsa (ad. y.s.II. 1) souligne que Tapas doit être pratiqué avec modération et sans nuire au calme du mental. Il ajoute que l’ascèse signifie avant tout tolérance envers les contraires et impassibilité.
Patanjali insiste cependant sur cet élément des Niyama qui peut devenir un yoga à lui seul : le Kriyâ yoga, voie de l’action sacrificielle et de la purification, réduisant les sources de souffrances.
Le travail sur soi constitue de toute façon un moyen indispensable de contrôle physique et psychique, extrêmement roboratif et capable de dévoiler des facultés inhabituelles et cachées (cf. Vyâsa ad. y.s.II.43).
« L’ascèse donne des pouvoirs spéciaux au corps et aux sens. Elle détruit l’impureté » (y.s.II.43).
Plus largement interprété, Tapas englobe souvent l’ensemble des quatre premiers degrés (yama, niyama, âsana et prânayâma).4. Svâdhyâya, l’étude des Écritures sacrées
Le terme Svâdhyâya signifie précisément étude des Veda et répétition des formules hermétiques (mantra) ainsi que de la syllabe OM. Cette discipline comporte aussi l’approfondissement de la métaphysique du Yoga Darhsana.
« L’étude des Ecritures et des formules sacrées nous permet le contact direct avec notre divinité tutélaire. » y.s.II.44.5. Îshvara pranidhâna, l’abandon complet à Dieu sous l’aspect d’Îshvara, le Seigneur suprême et transcendant
Il faut entendre par Pranidhâna, l’attention soutenue sur le principe divin qui a pour effet l’abolition de l’ego. On a vu que pour la grande majorité des yoga qui proposent la maîtrise des fonctions physiologiques et mentales, le rôle de Dieu était modeste, sinon même insignifiant (hatha, râja, laya jnâna yoga). Mais pour ceux qui suivent la voie de la dévotion et de l’amour —Bhakti yoga — cette règle devient la plus importante et souvent la seule nécessaire. Patanjali la mentionne plusieurs fois, soucieux de présenter toutes les orientations capables de mener à la réalisation ; les commentateurs tardifs, Vâcaspati Mishra et Vijfiâna Bhiksu lui réserveront une place de plus en plus prédominante pour répondre à la vogue des grands courants mystiques de leur époque.
« Si on s’abandonne complètement au Seigneur suprême, on parvient au Samâdhi » (y.s.II.45).
La Hatha yoga Pradîpikâ mentionne dix Niyama: « l’ascèse, la sérénité, la croyance en la suprême réalité et les Ecritures, le don, l’abandon à la divinité, l’étude des principes du yoga, la honte d’une conduite contraire à celle enseignée par les Shâstra, la compréhension juste, la répétition des Mantra et l’oblation sont appelés les dix Niyama» (1.16).
La Shândilya Up. remplace l’oblation (buta) par les voeux religieux (vratani).Jean papin et la voie du Yoga (aphorismes de Patanjali) Dervy-livres
Le seul but du yoga est de permettre à un individu d’atteindre l’éveil.
Les Yama (les refrènements) vont, comme on l’a vu plus haut, permettre à l’individu de préserver ses énergies afin d’en disposer plus pour la tentative de l’éveil.
Les Niyama donnent l’axe de la pratique et canalisent les possibilités humaines vers la tentative d’atteindre l’éveil.
De la même manière qu’un sportif de haut niveau va d’abord se refréner (pas trop manger, pas perdre ses énergies…) puis avoir des disciplines de vie, comme s’entraîner, apprendre le domaine technique de son sport…) tout cela dans un seul but, atteindre la médaille d’or.
Le Yogi, lui, (selon Patanjali) doit avoir des refrènements pour garder ses énergies et avoir aussi des disciplines afin de créer une focalisation forte sur son ultime but : L’éveil.
De ce fait Yoga n’utilise que 2 axes d’évolution :
La Connaissance (par l’expérimentation ou l’inférence)
Le Pouvoir (que confèrent les énergies)
par Denis Billo,
Denis Billo est professeur de yoga depuis 25 années, dans la tradition indienne. Il enseigne actuellement à Paris et à Namur. Il propose également des retraites et formations de professeur de yoga, dans le sud de la France.
N’hésitez pas à consulter son site: http://www.yoga-darshan.com/yoga_grimaud_golfe_de_saint_tropez
et à échanger sur son forum: http://www.pratique-du-yoga.com/forum/